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Le blog de la prépa IEP du lycée Char
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11 novembre 2011

Lire Saint Augustin

Le n°400 Lire consacre des pages sur l’évêque d’Hippone

 

Saint Augustin, et toi, et moi

Fresque de saint Augustin par le peintre italien Sandro Botticelli (1480).

Saint Augustin, et toi, et moi

 

Saint Augustin, philosophe et théologien chrétien né en 354 à Thagaste et mort en 430 à Hippone (Algérie), reste toujours d'actualité. Explications. 

Plus de mille six cents ans et une mer de malentendus nous séparent de son époque. Et pourtant, en dépit des évolutions dont procède notre société occidentale, étrangère aux préoccupations de l'Empire romain aux IVe et Ve siècles, et en voie de déchristianisation, la parole d'Augustin fait l'effet d'être non seulement compréhensible, mais proche, sinon familière. La Bible mise à part, il n'y a pas d'exemple d'un best-seller mondial aussi régulièrement traduit et réédité que les Confessions

Ce livre ne continue pas d'être lu parce qu'il serait le prototype de l'autobiographie, mais parce qu'il est une déclaration d'amour d'une franchise sans égale. "Je vais reprendre ma lecture de saint Augustin, écrit la jeune juive hollandaise Etty Hillesum. Quelle sévérité, mais quel feu! Et quel abandon sans réserve dans ses lettres d'amour à Dieu!" (Journal, 30 mai 1942.) 

Cela signifie, et c'est pourquoi il peut passer aujourd'hui encore pour un frère, que le propos de cet homme-là peut toucher, éclairer, donner à penser ou libérer n'importe lequel d'entre nous qui, en quête d'une vie heureuse, s'interroge sur l'origine d'une sourde insatisfaction, solitude ou lassitude. 

Surabondante, la postérité d'Augustin réunit celles et ceux qui l'ont fréquenté, que leur oeuvre en revendique ou pas le sceau, qu'ils l'aient critiqué, déconstruit ou qu'ils aient mis leurs pas dans les siens et poursuivi, en la reconsidérant, son entreprise. A tout le moins, mentionnons: Dante, Pétrarque, Thomas d'Aquin, Thérèse d'Avila, Luther, Pascal, Kierkegaard, Heidegger, Hannah Arendt, James Joyce, Flannery O'Connor, Julien Green, Albert Camus, Hans-Georg Gadamer, Jacques Derrida, Pascal Quignard. Que l'on est loin d'avoir épuisé le suc, le sens et l'actualité de l'oeuvre, c'est ce que rappelle l'exemple de Jean-François Lyotard. Averti que ses jours étaient comptés, l'auteur de La condition postmoderne tint à y consacrer son dernier essai. Dans La confession d'Augustin (Galilée, 1998), il souligne la valeur existentielle de cette "voix de tête": appel cherchant à répondre à un appel originel, aussi indiscernable qu'insistant, le lecteur s'associant à la pensée qui, d'une invocation à l'autre, tâtonne dans le silence de la voix. 

Quels traits ont en commun le Bas-Empire et notre temps? Les contemporains d'Augustin souffrent de la division de l'Empire romain. Les invasions, les successions se règlent dans le sang ; la corruption gangrène les élites. Nul ne sait de quoi demain sera fait. Ce présent XXIe siècle témoigne du déplacement du centre de gravité en faveur de l'Asie. Les pays occidentaux peinent à conjurer l'appauvrissement des classes moyennes. Hier, voie radieuse, la construction européenne est contestée. Et comme si la menace d'attentats islamistes ne suffisait pas, il faut redouter depuis le massacre d'Oslo, l'été dernier, jusqu'aux terroristes autoproclamés défenseurs de l'Occident chrétien! Folie et confusion des hommes... 

Face au péril, la lecture d'Augustin n'a rien d'un délassement, quoiqu'elle distille une rare sérénité. A condition d'écarter les clichés repoussoirs. Augustin, qui reconnut aux hérésies l'utilité de "rendre plus lumineuse la doctrine de l'Eglise", n'est pas qu'un polémiste qui ferrailla contre le manichéisme, le donatisme, le pélagianisme et l'arianisme. Il est un pasteur, sur-sollicité, et un prédicateur. 

Il y a chez Augustin une joie sans rapport avec le "maître d'inquiétude" salué par Chateaubriand. Est-il l'agent culpabilisateur numéro un? Ses "blocages" à propos de la femme, du sexe et du mal, disait André Mandouze, las des anachronismes, sont partagés par la société des IVe et Ve siècles. Méprisait-il le corps, à l'instar des néoplatoniciens? Assez pour faire de la relation sexuelle le vecteur du péché originel. Sauf qu'Augustin a fini par se raviser: "Exalter l'âme comme le souverain bien et condamner comme un mal la nature de la chair, dit-il dans La cité de Dieu (Livre XIV), c'est convoiter l'âme et fuir charnellement la chair." 

Que l'amour, découverte née de sa rencontre avec le Christ, libère et sauve, c'est le message d'Augustin. Que "ce qu'il y a de meilleur en l'homme" n'est point assujetti "à ce qu'il y a de pire" (Soliloques), c'est ce que n'a pas fini d'évaluer la littérature. 

Par Philippe Delaroche (Lire), publié dans l’Express, le 10 novembre 2011

 

Confessions

 

 
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